27 septembre 2012

Tolérance zéro



"Seront considérés comme ayant provoqué aux actes de propagande anarchiste, tous les hommes publics, ministres, sénateurs ou députés qui auront trafiqués de leur mandat. Car, on voit trop souvent la politique et la finance, causer dans les coins et trinquer ensembles."

Proposition de loi du député Jean Jaurès à la chambre en 1894, en réponse aux "lois scélérates".

13 septembre 2012

L'affaire énorme de la Banque de France



"Le groupe de banquiers qui a voulu, préparé, obtenu le coup d'Etat (du 18 Brumaire) s'empresse de réaliser l'affaire, l'affaire "énorme" (comme l'écrit très bien Vandal) qui constituait, pour ces faiseurs d'or, le sens même et la raison d'être de l'opération. Le 6 février 1800 a lieu, dans le bureau du Premier Consul, une réunion des "principaux financiers" de la place, et c'est de cette entrevue historique que va sortir cette merveille baptisée "Banque de France". La banque de France! Respect. Tenons-nous bien. Nul n'a le droit de badiner à propos d'une telle, et aussi noble, institution nationale. C'est bien aussi pourquoi je me garderai bien de badiner, et mettrai toute mon attention à bien voir de quoi il retourne." (...)

"La banque en formation, Bonaparte a consenti - consenti n'est pas le mot juste, car Bonaparte était là pour ça; il remplissait le contrat qui lui avait valu son ascension; disons donc plutôt qu'il l'a autorisé - à s'intituler "Banque de France" ( ce qui faisait très "national") afin de donner le change à l'opinion et de faire croire aux français que cet établissement de finance était leur Banque à eux, la Banque au service de la France. Or il s'agissait d'une maison privée, pareille aux autres, mais dotée, par sa grâce, d'une enseigne frauduleuse; il s'agissait d'une association d'affairistes qui, sous la banderole dont l'ornait un gouvernement suscité en secret par eux-mêmes, allaient pouvoir se procurer ainsi des bénéfices sans précédent." (...) 

Nous sommes pourtant en présence d'un comportement bien connu. L'Etatisme, disent les "honnêtes gens", quelle horreur! Il ferait beau voir que l'Etat prétendît se mêler  de nos opérations!   Et, en même temps, appel occulte à l'Etat pour obtenir de lui non seulement appui et couverture, mais son argent. Vieux principe capitaliste de la "nationalisation" des frais; les frais, c'est pour l'Etat, autrement dit: les autres. En revanche individualisation, stricte individualisation des bénéfices. Dans le souci primordial, dit Mollien (Trésorier de Bonaparte), qu'avait le Consul de "n'ôter aux banques aucune de leurs sources de profits",  Bonaparte ira plus loin encore; il va conférer à la Banque dite de "France", "pure association d'intérêts privés", énergiquement et hargneusement privés, le droit exclusif d'émettre du papier-monnaie; c'est à dire, observe Mollien, le partage "d'une des prérogatives du gouvernement, celle de créer une monnaie", avec cette différence entre l'Etat et la banque que " la monnaie métallique frappée par l'Etat lui coûte tout de même le prix de l'argent et de l'or", tandis que le privilège inouï accordé par Bonaparte à la maison Perregaux et Cie est de "fabriquer une monnaie qui ne lui coûtait rien"

Henri Guillemin, 1969, Napoléon tel quel, Ed. de Trévise, pages 85, 86, 90, 91. 



5 septembre 2012

Un pays bien organisé


"Le coup d'Etat du 18 Brumaire revêt sa signification précise et authentique lorsqu'on envisage ce qui s'est passé depuis 1789 et que l'évènement prend la place qui lui revient dans la suite des choses. Au cours du XVIIIe siècle, une classe nouvelle s'est constituée, au sommet de la roture; la classe des affairistes, grands commerçants, manufacturiers, banquiers; c'est la richesse mobilière. La richesse immobilière (aristocratie, clergé) tient tout, grâce au roi; c'est elle qui, pratiquement, gère l'Etat; et elle s'exempte d'impôts. (...) 
Et la ruse de Sieyès sera de baptiser "la nation" cette frange suprême du Tiers-Etat. Succès complet, grâce à la menace de la banqueroute et grâce surtout, au reste du Tiers-Etat, les pauvres, les travailleurs (98% du fameux "Tiers"), mobilisés, dans la rue, contre la Bastille, par les grands notables pour leur assurer l'accès au gouvernement. Mais ces exécutants plébéiens devront retourner dans leurs tanières dès qu'ils auront accompli ce pour quoi on les a, un instant, autorisés à en sortir. On les désarme en un tournemain. On établit, pour leur surveillance, une milice bourgeoise travestie en "garde nationale"; on les exclu du droit de vote; ils seront (autre trouvailles de Sieyès) les "citoyens (sic) passifs"; leur rôle est de nourrir en silence, ceux qui vivent de leur travail et en extraient leur propre opulence. Les Constituants sont des voltairiens, et Voltaire a donné la formule du pays bien organisé: c'est celui, a-t-il énoncé, où "le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne". Les Constituants ont poussé la prudence jusqu'à interdire aux travailleurs, sous peine de prison, tout "coalition" pour la défense de leurs salaires. Car les Constituants ont, avant tout, le culte de "la liberté", et la liberté des employeurs serait contrainte si les prolétaires prétendaient s'unir."

Henri Guillemin, 1969, Napoléon tel quel, Ed. de Trévise, pages 68-69.