29 novembre 2019

Sur le siège de Stalingrad


Sortis de nulle part, aller on ne sait où
Attendre au hasard, embarquer leurs clous
Un spectacle éphémère, glaner quelques sous
Graminées imposés dans l'espace confiné
Vienne un souffle, ils auront décampés
Serait-ce des grains de liberté semés?

3 novembre 2019

Lutteur de classe



"Puissant, haut placé! Il faut appartenir à l'Empire! Je ne puis pas, je ne dois pas, je ne veux pas être protégé par les gens de l'Empire. Plutôt l'hôpital!

Il ne manque pas de pieds à lécher. Pour me payer de la lècherie, on me jetterait peut-être une situation. Je n'ai pas la langue à ça!
Par mon origine, je n'ai de racines que dans la terre des champs - point dans la race des heureux! Je suis le fils d'une paysanne qui a trop criée qu'elle avait gardé les vaches et d'un professeur qui a bien assez de chercher des protections pour lui-même!...Il a fait une petite classe, d'ailleurs, ce qui ne lui donne pas d'autorité et le prive de prestige.
Où ramasser les introductions, par ce temps de banqueroutisme triomphant, de républicains exilés?"

Le bachelier, Jules Vallès.



14 mars 2019

Gilets jaunes et cols blancs


"Là-dedans, la climatisation tempérait les humeurs. Bippers et téléphones éloignaient les comparses, réfrigéraient les liens. Des solidarités centenaires se dissolvaient dans le grand bain des forces concurrentielles. Partout, de nouveaux petits jobs ingrats, mal payés, de courbettes et d'acquiescement, se substituaient aux éreintements partagés d'autrefois. Les productions ne faisaient plus sens. On parlait de relationnel, de qualité de service, de stratégie de com, de satisfaction client. Tout était devenu petit, isolé, nébuleux, pédé dans l'âme. Patrick ne comprenait pas ce monde sans copains, ni cette discipline qui s'était étendue des gestes aux mots, des corps aux âmes. On n'attendait plus seulement de vous une disponibilité ponctuelle, une force de travail monnayable. Il fallait désormais y croire, répercuter partout un esprit, employer un vocabulaire estampillé, venu d'en haut, tournant à vide, et qui avait cet effet stupéfiant de rendre les résistances  illégales et vos intérêts indéfendables. Il fallait porter une casquette."

Nicolas Mathieu, Leurs enfants après eux, Paris, Actes Sud, 2018, p. 212 et 213.

13 janvier 2019

Leurs enfants après eux...


"Un siècle durant, les hauts-fourneaux d'Heillange avaient drainé tout ce que la région comptait d'existences, happant d'un même mouvement les êtres, les heures, les matières premières. D'un côté, des wagonnets apportaient le combustible et le minerai par voie ferrée. De l'autre, des lingots de métal repartaient par le rail, avant d’emprunter le cours des fleuves et des rivières pour de lents cheminements à travers l'Europe. 
Le corps insatiable de l'usine avait duré tant qu'il avait pu, à la croisée des chemins, alimenté par des routes et des fatigues, nourri par tout un réseau de conduites qui, une fois déposées et vendues au poids, avaient laissé dans la ville de cruelles saignées. Ces trouées fantomatiques ravivaient les mémoires, comme les ballast mangés d'herbes, les réclames qui pâlissaient sur les mir, ces panneaux indicateurs grêlés de plombs.
Anthony la connaissait bien cette histoire. On la lui avait racontée toute l'enfance. Sous le gueulard, la terre se muait en fonte à 1800° C, dans un déchaînement de chaleur qui occasionnait des morts et des fiertés. Elle avait sifflé, gémi et brûlé, leur usine, pendant six générations, même la nuit. Une interruption aurait coûté les yeux de la tête, il valait encore mieux arracher les hommes à leurs lits et à  leurs femmes. Et pour finir, il ne restait que ça, des silhouettes rousses, un mur d'enceinte, une grille fermée par un petit cadenas. L'an dernier, on y avait organisé un vernissage. Un candidat aux législative avait proposé d'en faire un parc à thème. Des mômes la détruisaient à coups de lance-pierre."

Nicolas Mathieu, Leurs enfants après eux, Paris, Actes Sud, 2018, p. 87.