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7 novembre 2016

Robbie, l'incorruptible


"Le 14 avril 1794, Robespierre va obtenir d'une convention grincheuse que l'on mette Jean-Jacques Rousseau au Panthéon. Il aurait bien voulu que l'on en fasse sortir Voltaire dont il pensait tout le mal qu’en pensait Marat, dans un admirable article du 6 avril 1791, paru dans l'Ami du Peuple. Le 7 floréal, an II, c'est-à-dire le 18 mai 94, Robespierre rédige un rapport qu'il faut lire de près. l'Histoire n'en parle pas assez; même dans le livre de Jean Massin qui est un excellent livre, ce qui est essentiel dans ce rapport n'est pas souligné. Robespierre, courageusement dit à ces gens de la Convention, qui sont presque tous des voltairiens, "je m'en vais vous expliquer ce que c'est, Voltaire, ce que c'est, l'esprit de l'Encyclopédie qu'avait essayé de maintenir parmi nous un homme comme Condorcet, le marquis de Condorcet, celui qui parlait des instruments méprisables de la Révolution." Il a soupesé Candide, le livre de Voltaire, il a vu ce que ça signifiait pour Voltaire, "cultiver son jardin": que les imbéciles se laissent écraser, mais que les adroits sachent se mettre du côté du marteau contre l'enclume. "Qu'est-ce que c'est que la philosophie de l'Encyclopédie, cette espèce de philosophie pratique qui réduisant l'égoïsme en système, considère la société comme une guerre de ruse, le succès comme la règle du juste et de l'injuste, le monde comme le patrimoine des fripons adroits?" Par conséquent ces gens-là n'ont rien à faire avec le véritable esprit révolutionnaire."

Henri Guillemin 1789-1792 1792-1794, les deux révolutions françaises, Paris Utovie.

2 novembre 2016

Bataillon de choc des riches


"La seconde chose que je voulais vous dire aussi, c'est ce que nous avons pris, je crois, une vue plus nette, plus exacte de ce que l'on appelle la Révolution française. Sous ces mots, Révolution française, il y a deux réalités successives et qui sont absolument opposées, deux réalités antithétiques. Il y a d'abord de 1789 au 10 août 1792, la prise de pouvoir par l'oligarchie financière. C'est ça, la première révolution, et en vérité ce n'est pas une révolution mais une réforme. La monarchie qui était absolue est maintenant une monarchie contrôlée. Contrôlée par qui? Par la bourgeoisie d'affaires. Et la date que les manuels ne soulignent jamais assez et on fait quelque fois exprès d'en parler à peine, c'est le 17 juillet 91: la bourgeoisie jette le masque et après s'être servie des pauvres comme levier pour abattre la monarchie absolue, elle leur tire dessus. Et ce sont des centaines de morts sur le Champ de Mars, grâce aux troupes de La Fayette, à cette Garde nationale constituée de notables qui tirent sur le peuple, en ce jour.
Seconde révolution, alors, pour de bon. A partir du 10 août 92. Cette fois, c'est le Quatrième État, ce sont les pauvres, les prolétaires, les ouvriers, les petits paysans qui sont dans le coup. C'en est fini de cette première partie où les bourgeois disaient: "l’État, c'est nous."Il s'agit maintenant de toute la France, je l'ai souvent répété. Mais quand on regarde les chiffres, on est surpris de voir combien les votants sont peu nombreux. Il faut se rendre compte de ce qu'était la France d'alors. Elles est composée, dans son immense majorité, de véritables bêtes de somme, depuis des centaines d'années, courbées sous le poids de ces possédants qui illustrent parfaitement l'idée de Voltaire selon lequel "le petit nombre doit être nourri par le plus grand nombre." Ces pauvres gens sont abrutis de misère; ils commencent à peine à ouvrir les yeux. Il ne faut donc pas s'étonner que ceux qui commencent à comprendre quelque chose à la politique, pour dire vite, se comptent par dizaine de milliers et pas par centaines de milliers. Néanmoins, à ce moment-là, c'est quelque chose d'important et de capital qui est en jeu. Alors, les possédants, ceux qui avaient fait la première partie de la Révolution, ceux qui avaient trouvé à leur service d'abord les Girondins - aile marchante du bataillon de choc des riches - puis des gens comme Danton, Cambon, Barère et Carnot, n'ont de cesse maintenant de voir se terminer cet intermède pour eux abominable, odieux, où il s'agit vraiment de la République."

Henri Guillemin, l789- 1792 1792-1794, Les deux révolutions françaises, Paris, Utovie.

10 mars 2014

Le vieux Léon


"La C.G.T. tente, le 30 novembre 1938, une grève générale qui avorte misérablement. L'aventure - l'espérance - du Front populaire n'aura donc abouti qu'à une quatrième défaite, en cent cinquante ans, du prolétariat français, les trois premières ayant été celles de juillet 1794, de juin 1848 et de mai 1871. Le prolétariat est si bien maté que le 1er mai 1939 ne sera pas "férié", sans qu'aucune révolte se produise. Reste, pour les classes dirigeantes, l'effrayant souvenir de mai-juin 1936, cette insoumission, tout à coup, des masses, cette prétention soudaine, chez ceux dont le rôle est de "nourrir" le "petit nombre", cette prétention de relever la tête, de se grouper, de faire bloc, de recourir à la contrainte des grèves "sur le tas" pour arracher des concession à ces Puissants qui les "font travailler" et les "gouvernent". Les Puissants demeurent "les plus forts" et ils l'ont prouvé. Mais ils ont eu peur. Blum leur a fait peur. Ils ne l'oublieront pas. Ils ne lui pardonneront jamais."

Henri Guillemin, Nationalistes et nationaux, la droite française de 1870 à 1940, Paris 1974, Gallimard.




19 octobre 2012

Inaliénable et sacrée...propriété!




« Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » Saluons. Mais l'histoire historique ne saurait se taire sur l'étrange application immédiatement réservée à ce principe, ou à ce dogme, par la Constituante elle-même. Je crains également que l'on n'appelle guère l'attention sur un détail, qui a son prix, dans ces nouvelles Tables de la loi. C'est à la fin, et cela concerne la Propriété. Surgit là un adjectif inédit dans cette acception : la propriété, dit le texte, est inviolable - mais oui, mais bien sûr, entendu ! - et sacrée. Une épithète jusqu'alors réservée aux choses de la religion. Les constituants (nous y reviendrons) sont, en grande majorité, des voltairiens ; autrement dit le contraire de ces niais qui ne savent pas distinguer le concret de l'abstrait. Et quoi de plus concret que l'argent ? C'est donc à l'argent, à la fortune acquise, à la Propriété qu'il convient d'attribuer une qualification suprême bien plutôt qu'aux rêveries et sottises de la superstition."

Henri Guillemin, 1989, Silence aux pauvres!

12 octobre 2012

Silence aux pauvres!



"Un groupe, déjà vigoureux à la Législative, s'est tout de suite reconstitué à la Convention, le groupe des Girondins (encore que trois seulement d'entre eux, mais les meneurs, Vergniaud, Guadet, Gensonné, soient des élus de la Gironde). Lamartine, dans son Histoire des Girondins où ne manquent, certes ni les légèretés, ni les bavures, n'en dira pas moins la vérité sur ce groupe : des gens, écrira-t-il en 1847, « parfaitement résolus à laisser subsister, dans les profondeurs sociales, les pires iniquités » ; ce qu'ils veulent, c'est l'aristocratie de la richesse, de telle sorte que la France, « à la place d'un seul tyran, en ait quelques milliers ». Et Jaurès, plus bref et encore meilleur : les Girondins ? « Une oligarchie de grands bourgeois beaux parleurs et arrogants. » Ils feront tout, en janvier 93, pour sauver la tête du roi, non par souci d'humanité, car il suffit de prêter l'oreille à leurs discours pour constater qu'ils y font grand usage des mots guillotine, échafaud, mais ils en réservent l'emploi à l'intention des anarchistes. L'existence du roi a, pour eux, une valeur mythique ; il demeure, même détrôné, le symbole de l'ordre établi, de la structure ancestrale, et qui doit demeurer immuable, de toute société civilisée. Les Girondins ne voteront la mort du roi que dans cette crainte des faubourgs qui ne cesse de les habiter." 

Henri Guillemin, 1989, Silence aux pauvres!

13 septembre 2012

L'affaire énorme de la Banque de France



"Le groupe de banquiers qui a voulu, préparé, obtenu le coup d'Etat (du 18 Brumaire) s'empresse de réaliser l'affaire, l'affaire "énorme" (comme l'écrit très bien Vandal) qui constituait, pour ces faiseurs d'or, le sens même et la raison d'être de l'opération. Le 6 février 1800 a lieu, dans le bureau du Premier Consul, une réunion des "principaux financiers" de la place, et c'est de cette entrevue historique que va sortir cette merveille baptisée "Banque de France". La banque de France! Respect. Tenons-nous bien. Nul n'a le droit de badiner à propos d'une telle, et aussi noble, institution nationale. C'est bien aussi pourquoi je me garderai bien de badiner, et mettrai toute mon attention à bien voir de quoi il retourne." (...)

"La banque en formation, Bonaparte a consenti - consenti n'est pas le mot juste, car Bonaparte était là pour ça; il remplissait le contrat qui lui avait valu son ascension; disons donc plutôt qu'il l'a autorisé - à s'intituler "Banque de France" ( ce qui faisait très "national") afin de donner le change à l'opinion et de faire croire aux français que cet établissement de finance était leur Banque à eux, la Banque au service de la France. Or il s'agissait d'une maison privée, pareille aux autres, mais dotée, par sa grâce, d'une enseigne frauduleuse; il s'agissait d'une association d'affairistes qui, sous la banderole dont l'ornait un gouvernement suscité en secret par eux-mêmes, allaient pouvoir se procurer ainsi des bénéfices sans précédent." (...) 

Nous sommes pourtant en présence d'un comportement bien connu. L'Etatisme, disent les "honnêtes gens", quelle horreur! Il ferait beau voir que l'Etat prétendît se mêler  de nos opérations!   Et, en même temps, appel occulte à l'Etat pour obtenir de lui non seulement appui et couverture, mais son argent. Vieux principe capitaliste de la "nationalisation" des frais; les frais, c'est pour l'Etat, autrement dit: les autres. En revanche individualisation, stricte individualisation des bénéfices. Dans le souci primordial, dit Mollien (Trésorier de Bonaparte), qu'avait le Consul de "n'ôter aux banques aucune de leurs sources de profits",  Bonaparte ira plus loin encore; il va conférer à la Banque dite de "France", "pure association d'intérêts privés", énergiquement et hargneusement privés, le droit exclusif d'émettre du papier-monnaie; c'est à dire, observe Mollien, le partage "d'une des prérogatives du gouvernement, celle de créer une monnaie", avec cette différence entre l'Etat et la banque que " la monnaie métallique frappée par l'Etat lui coûte tout de même le prix de l'argent et de l'or", tandis que le privilège inouï accordé par Bonaparte à la maison Perregaux et Cie est de "fabriquer une monnaie qui ne lui coûtait rien"

Henri Guillemin, 1969, Napoléon tel quel, Ed. de Trévise, pages 85, 86, 90, 91. 



5 septembre 2012

Un pays bien organisé


"Le coup d'Etat du 18 Brumaire revêt sa signification précise et authentique lorsqu'on envisage ce qui s'est passé depuis 1789 et que l'évènement prend la place qui lui revient dans la suite des choses. Au cours du XVIIIe siècle, une classe nouvelle s'est constituée, au sommet de la roture; la classe des affairistes, grands commerçants, manufacturiers, banquiers; c'est la richesse mobilière. La richesse immobilière (aristocratie, clergé) tient tout, grâce au roi; c'est elle qui, pratiquement, gère l'Etat; et elle s'exempte d'impôts. (...) 
Et la ruse de Sieyès sera de baptiser "la nation" cette frange suprême du Tiers-Etat. Succès complet, grâce à la menace de la banqueroute et grâce surtout, au reste du Tiers-Etat, les pauvres, les travailleurs (98% du fameux "Tiers"), mobilisés, dans la rue, contre la Bastille, par les grands notables pour leur assurer l'accès au gouvernement. Mais ces exécutants plébéiens devront retourner dans leurs tanières dès qu'ils auront accompli ce pour quoi on les a, un instant, autorisés à en sortir. On les désarme en un tournemain. On établit, pour leur surveillance, une milice bourgeoise travestie en "garde nationale"; on les exclu du droit de vote; ils seront (autre trouvailles de Sieyès) les "citoyens (sic) passifs"; leur rôle est de nourrir en silence, ceux qui vivent de leur travail et en extraient leur propre opulence. Les Constituants sont des voltairiens, et Voltaire a donné la formule du pays bien organisé: c'est celui, a-t-il énoncé, où "le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne". Les Constituants ont poussé la prudence jusqu'à interdire aux travailleurs, sous peine de prison, tout "coalition" pour la défense de leurs salaires. Car les Constituants ont, avant tout, le culte de "la liberté", et la liberté des employeurs serait contrainte si les prolétaires prétendaient s'unir."

Henri Guillemin, 1969, Napoléon tel quel, Ed. de Trévise, pages 68-69.

1 août 2012

La guerre qui vient


"En dépit des apparences démocratiques, en France, le peuple ne contrôle pas ses gouvernements. Un groupe étroit s'est emparé des conseils d'administration des grandes sociétés financières. Ces quelques hommes tiennent entre leurs mains, les banques, les mines, les chemins de fer, les compagnies de navigation, bref tout l'outillage économique de la France. Sans oublier, la sidérurgie et les fabriques d'armes, d'où sortent de croissants profits. Ils dominent le parlement et ont à leur solde la grande presse. La guerre ne leur fait pas peur et ils la considéreraient même avec intérêts. Nos banques ont gardé le souvenir des bénéfices énormes réalisés par elles en 1871."
Francis Delaisi, économistes français, dans La guerre qui vient, 1911.

Cité par H. Guillemin, le 20 mai 1972 dans sa conférence intitulée "La guerre se prépare".