31 août 2007

Requiem des innocents

 
"Les journaux publièrent une belle photographie de la zone. Puis jour après jour, chaque baraque séparément. Puis nos portraits. Puis nos biographies. Puis je ne sais quoi encore...Ils s'en donnaient les baveux! Ils devaient travailler jour et nuit, pour sûr. Il y eut des foules de pétitions signées et contresignées de cent beaux paraphes. Notre cas faisait fureur. La ville épouvantée réclamait en son âme et conscience que l'on fît de nous des errants, des bohémiens, chassés de pays en pays. Crevant de route en route. Chassez la racaille! C'était le mot d'ordre. L'occupation du jour. La ville mettait son courage à dénoncer à plein gosiers l'abcès d'un de nos quartiers. J'ignore à qui nous dûmes de ne pas connaître la chiourme"
(...)
"Les curieux se radinaient par groupes de dix ou quinze. Ca devait les affrioller de venir ainsi se frotter de près aux gouapes. Par groupes compacts ils débarquaient. On ne voyait pas de solitaire. Jamais. En s'isolant trop ils devaient redouter de dérouiller un peu. Ils restaient ensemble. Les uns contre les autres. Impatients de tout voir. Foireux comme pas un. De gras messieurs débitaient des sornettes à de belles putains en manteaux de fourrure. Nous n'avions jamais vu autant de population à la fois. Ca déréglait notre vie, cette cohue incessante et soudaine. Nous étions plus à l'aise. On se trouvait tout désorientés avec ces lopes au milieu de nous, qui péroraient par-ci, par-là, sans arrêt. Ca faisait du boucan supplémentaire. On ne s'y reconnaissait pas, nous autres. Ca foutait tout en l'air. On se demandait ce qui allait résulter de ce grand remue-ménage."

Requiem des innocents, Louis Calaferte (1952).

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