17 avril 2010

Le style aux commandes



"Annonçant que le ministère du commerce s'apprête à lever l'interdit sur les pantalons à revers, la publicité d'un tailleur salue cet évènement comme "le premier acompte de la liberté pour laquelle nous nous battons".

Si nous nous étions vraiments battus pour les pantalons à revers, j'aurais dans doute penché pour les forces de l'axe. Les revers ne servent à rien, sauf à récolter la poussière, et ils ne présentent aucun avantage, sauf les six pence qu'on y retrouve parfois quand on les nettoie. Mais, sous le cri de jubilation de notre tailleur, il y a une arrière-pensée: d'ici peu l'Allemagne sera vaincue, la guerre pratiquement finie, le rationnement moins strict, et on assistera alors au retour fracassant du snobisme vertimentaire. Voilà un espoir que je ne partage pas. Plus tôt cessera le rationnement alimentaire et plus je me réjouirai. Mais je ne voudrais voir le rationnement vestimentaire se poursuivre jusqu'à ce que les mites aient le dernier smoking et que les ordonnateurs de pompes funèbres eux-mêmes aient abandonné le haut-de-forme. Il me serait indifférent de voir la nation tout entière porter des uniformes teints pendant cinq ans si c'était le moyen d'éradiquer l'une des principales sources de snobisme et de jalousie. Le rationnement vestimentaire n'a pas été conçu dans un esprit démocratique, mais il a tout de même entraîné une certaine démocratisation. Si les pauvres ne sont pas beaucoup mieux habillés, du moins les riches sont-ils plus miteux. Et comme aucun véritable changement structurel ne se produit dans notre société, le nivellement qu'engendre mécaniquement une simple pénurie vaut toujours mieux que rien."

Georges Orwell , Chronique du 4 février 1944 (A ma guise, chroniques 1943-1947).

2 commentaires:

  1. Dame Lepion apprécie votre blog et vous salue respectueusement.

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  2. Chère Médème Lepion, la maison vous remercie et vous souhaite excellent séjour.

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