23 décembre 2018

Pour une médaille, pour rien...


"Comme ce métier était plus dur qu'un métier de marchand, de bureaucrate...Il mettait en jeu la vie et la mort. Pourquoi les hommes meurent-ils donc? Antoine était assez fier de sa profession, de son habileté, de son honneur professionnel. Mais ces ouvriers qui mouraient? Il faut mourir au moins pour des fins qui en valent la peine, mais mourir parce que la voie n'était pas en bon état, parce qu'une éclisse avait sauté, mourir pour les actionnaires, pour ces hommes inconnus qui ne connaissent des lignes que des gares, des coupons, des wagons de première, des trains de luxe, pour des barons de Rothschild, pour de petits rentiers porteurs d'obligations, pour des combinaisons de négociants, de financiers? Il y avait une machine qui évaluait les vies à un certain tarif: et les actionnaires jugeaient que tout était bien et les obligataires trouvaient sans doute que c'était cher...
Quand on mourrait pas, on recevait, avant la retraite, une médaille de bronze, d'argent, une médaille frappée d'une locomotive, au bout d'un ruban tricolore, comme une médaille de sauvetage, on recevait une lettre: "En échange de vos bons et loyaux services..."
Mourir, vivre, pour une médaille, pour rien..."

Paul Nizan, Antoine Bloyé, Paris, Grasset, les cahiers rouges, page 142.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire