8 mars 2010

L'ordinaire conspiration


"Avec la permission d'une correspondante, je vais citer quelques passages d'une lettre d'instructions qu'elle a reçue il y a peu d'une école de journalisme bien connue (London School of Journalism) :

"Un grand nombre de vos lecteurs seront des gens qui n'ont pas du tout envie de considérer les employeurs comme esclavagistes et des méchants capitalistes de la société (...) Écrivez simplement et avec naturel, sans essayer de faire de longues phrases ni d'utiliser de grands mots. Rappelez-vous que le but est de divertir. Aucun lecteur, après une journée de travail, n'aura envie de lire une liste des doléances de quelqu'un d'autre. Mettez un frein à votre désir de parler des "maux" de l'industrie minière. Il y a des millions de personnes qui n'oublieront jamais que les mineurs ont fait grève tandis que nos fils et maris se battaient contre les allemands. Où seraient les mineurs si les troupes avaient refusé de se battre? Je mentionne ceci pou vous aider à voir les choses sous un angle différent. Je vous déconseille d'écrire sur des sujets à controverse. Ils sont difficile à vendre. Une description simple de la vie des mineurs a bien plus de chance. (...)
Le lecteur moyen accepte volontiers qu'on lui parle d'autres modes de vie que le sien - mais, à moins d'être un imbécile ou un gredin, il ne prêtera l"oreille à de la propagande partiale. Oubliez donc vos griefs et dites-nous un peu comment vous vous débrouillez dans un village minier typique. Un des magazines féminins acceptera certainement de lire un article sur ce sujet écrit par une ménagère."  (...)
Il ne s'agit pas d'un complot capitaliste voilé pour droguer les ouvriers. La personne qui a écrit cette lettre peu soignée n'est pas un sinistre conspirateur mais simplement un âne (ou une ânesse, je dirais, d'après le style) sur lequel des années de bombardements et de privations n'ont eu aucun effet. Cette lettre démontre à quel point  les habitudes mentales d'avant guerre sont des mauvaises herbes à la vitalité invincible."

Georges Orwell, Chronique du 6 octobre 1944 (A ma guise, chroniques 1943-1947).

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