11 février 2010

Au large


Les seasteaders libertariens sont les héritiers de cette tradition visionnaire, mais ils trahissent leur politique de classe en la dégradant. Ils rendent presque leur critique radicale nostalgique de rêves ennemis grandioses. Leurs monolithes intransigeants de l'architecture fasciste et stalinienne témoignaient des ambitions gigantesques monstrueuses de leurs commanditaires. Mais si New Utopia, le plus fou des seasteads libertariens, teinte son Miami-isme terne de juste ce qu'il faut de barbe à papa Vegas pour laisser entrevoir un baroque anémié, Freedom Ship est un centre commercial flottant à l'allure d'hôtel méditerranéen de milieu de gamme. Mais la défaite de l'imagination utopique n'est nulle part plus frappante que dans les projets de ville flottante toujours influents, bien qu'enterrés depuis longtemps, d'Atlantis Project.
C'est un rêve libertarien. Des quartiers hexagonaux d'appartements carrés bordurés conventionnellement de minuscules parcs bien peignés et des marinas merveilleusement monotones, l'âme d'une banlieue de Floride. C'est la gated community ultime, conçue non pour les très riches et certainement pas pour les très puissants, mais pour ceux qui le sont moyennement. En tant qu'utopie, Atlantis Project fait pitié. Passée son unique raison d'être, sa situation sur les mers, il est tragiquement dénué de toute ambition, estropié par l'anxiété de classe, nostalgique, pas même d'un glorieux passé mythique, mais de fausse vertu anonyme de fifities fantasmées. Ce n'est pas une vision de la classe dirigeante, plutôt la rêverie plaintive d'une petite bourgeoisie apeurée qui, face à ce qu'elle percoit comme problèmes sociaux, n'a trouvé que cette solution boudeuse: fuir, faire voile vers un crépuscule sans impôts.

China Miéville, Utopies flottantes in Paradis infernaux, les villes hallucinées du néo-capitalisme 2008.

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