14 janvier 2014

Le voyeur


"Ce n'était pas Violette, évidemment, mais une personne qui lui ressemblait en tout cas beaucoup: de visage surtout, car le costume de celle-ci montrait qu'elle était encore une enfant, malgré les formes naissantes de son corps qui aurait pu déjà appartenir à une jeune fille - de taille réduite. Elle portait ses habits de tous les jours - ceux d'une petite paysanne - détail qui étonnait, car on a pas l'habitude à la campagne de prendre ainsi des instantanés pour les faire agrandir : les photos y commémorent d'ordinaire quelque évènement et se font en robe du dimanche (de communiante en général, à cet âge-là), entre une chaise et un palmier ne pot, chez le photographe. Violette au contraire se tenait adossée au tronc rectiligne d'un pin, la tête appuyée contre l'écorce, les jambes raidies et légèrement écartées, les bras ramenés en arrière. Sa posture, mélange ambigu d'abandon et de contrainte, pouvait laisser croire qu'on l'avait attachée à l'arbre.

"Une bien jolie fille, que vous possédez-là! dit aimablement le voyageur."

Le voyeur, Alain Robbe-Grillet, 1953.