"La seconde chose que je voulais vous dire aussi, c'est ce que nous avons pris, je crois, une vue plus nette, plus exacte de ce que l'on appelle la Révolution française. Sous ces mots, Révolution française, il y a deux réalités successives et qui sont absolument opposées, deux réalités antithétiques. Il y a d'abord de 1789 au 10 août 1792, la prise de pouvoir par l'oligarchie financière. C'est ça, la première révolution, et en vérité ce n'est pas une révolution mais une réforme. La monarchie qui était absolue est maintenant une monarchie contrôlée. Contrôlée par qui? Par la bourgeoisie d'affaires. Et la date que les manuels ne soulignent jamais assez et on fait quelque fois exprès d'en parler à peine, c'est le 17 juillet 91: la bourgeoisie jette le masque et après s'être servie des pauvres comme levier pour abattre la monarchie absolue, elle leur tire dessus. Et ce sont des centaines de morts sur le Champ de Mars, grâce aux troupes de La Fayette, à cette Garde nationale constituée de notables qui tirent sur le peuple, en ce jour.
Seconde révolution, alors, pour de bon. A partir du 10 août 92. Cette fois, c'est le Quatrième État, ce sont les pauvres, les prolétaires, les ouvriers, les petits paysans qui sont dans le coup. C'en est fini de cette première partie où les bourgeois disaient: "l’État, c'est nous."Il s'agit maintenant de toute la France, je l'ai souvent répété. Mais quand on regarde les chiffres, on est surpris de voir combien les votants sont peu nombreux. Il faut se rendre compte de ce qu'était la France d'alors. Elles est composée, dans son immense majorité, de véritables bêtes de somme, depuis des centaines d'années, courbées sous le poids de ces possédants qui illustrent parfaitement l'idée de Voltaire selon lequel "le petit nombre doit être nourri par le plus grand nombre." Ces pauvres gens sont abrutis de misère; ils commencent à peine à ouvrir les yeux. Il ne faut donc pas s'étonner que ceux qui commencent à comprendre quelque chose à la politique, pour dire vite, se comptent par dizaine de milliers et pas par centaines de milliers. Néanmoins, à ce moment-là, c'est quelque chose d'important et de capital qui est en jeu. Alors, les possédants, ceux qui avaient fait la première partie de la Révolution, ceux qui avaient trouvé à leur service d'abord les Girondins - aile marchante du bataillon de choc des riches - puis des gens comme Danton, Cambon, Barère et Carnot, n'ont de cesse maintenant de voir se terminer cet intermède pour eux abominable, odieux, où il s'agit vraiment de la République."
Henri Guillemin, l789- 1792 1792-1794, Les deux révolutions françaises, Paris, Utovie.